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avril 2008

18 avril 2008

Gravitation, de Misner, Thorne et Wheeler

Blog_besnard Je viens d’apprendre par le blog de Peter Woit le décès avant-hier de John Wheeler, à l’âge respectable de 97 ans. Je saisis cette triste occasion pour évoquer le livre qu’il a co-écrit à la fin des années soixante avec Misner et Thorne, et qui a marqué le retour en grâce de la relativité générale : Gravitation, chez Freeman (1973, 125 $). Surnommé « the phonebook » en raison de son imposant volume (plus de 1200 pages), ce livre a eu, et continue d’avoir, une profonde influence dans son domaine. Un peu découragé de prime abord par l’épaisseur de l’objet, on en part rarement à l’assaut par la page 1, préférant picorer un chapitre de ci de là. Mais ce livre recèle tant de trésors qu’on finit par les lire tous ! Peu d’ouvrages réussissent comme celui-ci à faire passer l’intuition physique et géométrique des phénomènes, les deux aspects n’étant d’ailleurs pas séparés, et nul autre, à ma connaissance, n’utilise des structures en nid d’abeille et autres boîtes à oeufs pour illustrer le concept de forme différentielle...

Fabien Besnard, EPF

17 avril 2008

A quoi sert la science ?

Blog_bayard Jean-Marc Lévy-Leblond, bien connu des lecteurs de la Recherche (pour ses chroniques notamment) publie chez Bayard le texte de la conférence présentée dans le cadre de l’initiative du Centre dramatique national de Montreuil. Sous l’inspiration de Walter Benjamin et des ses « Lumières pour enfants » (à la radio allemande entre 1929 et 1932) et sous la responsabilité de Gilberte Tsaï, des savants et philosophes s’adressent aux enfants sur les savoirs qui sont les leurs. « A chaque fois, il n’est question que d’éclairer, d’éveiller, Ulysse, la nuit étoilée, les dieux, les mots, les images, la guerre, Galilée… les thèmes n’ont pas de limites mais il y a une règle du jeu, qui est que les orateurs s’adressent effectivement aux enfants, et qu’ils le fassent hors des sentiers battus, dans un mouvement d’amitié traversant les générations », explique l’avant-propos du petit livre qui publie la conférence du physicien et épistémologue, par ailleurs directeur de la collection « Science ouverte » au Seuil. Son propos suit le fil du projet. Sa réflexion didactique procède de questions en questions, des questions ouvertes, parfois évidentes et qui appellent autant des réponses. L’auteur s’applique à distinguer la science de la philosophie même s’il agit finalement en philosophe : « Selon moi, on pourrait caractériser la science comme ‘l’art de transformer une question jusqu’à ce qu’elle trouve une réponse’. » Et c’est bien la réponse à la question du livre : la science sert à penser le monde, soi et l’humanité.

Vincent Duclert, EHESS

www.petitesconferences.com

Blog_bayard_2 Avec le livre de Jean-Marc Lévy-Leblond, Bayard propose un accès à une bibliothèque numérique, grâce à un code fourni en première page. On peut lire alors en ligne d’autres volumes de la collection (que l’on ne dévoilera pas). Du papier vers le net en d’autres termes, à condition de renseigner son nom, son e-mail, bref une contrainte un peu regrettable quand on sait qu’acheter un livre doit rester un acte de liberté y compris dans ses développements numériques. De plus, le service rendu par le site www.petitesconferences.com est à mon avis décevant et le principe même à débattre. Dans la nouvelle économie culturelle qui se met en place, on pourrait imaginer au contraire qu’un site d’accès libre dessine un paysage d’informations, d'échanges et de suggestions amenant l’internaute à acheter l’ouvrage. Voire qu'un des ouvrages de la collection soit en accès libre, permettant à tout à chacun de le lire ou de le télécharger, pour ensuite amener le lecteur à en acquérir d'autres en librairie. Et quel sera le visage des librairies dans quelques années. Il y a fort à parier que de puissantes imprimantes-relieuses y soient installer et sortent à la carte des livres imprimés, couverture comprise, à partir d'une base de données de livres numériques auquel pourrait accéder le libraire. Le débat est ouvert, et profitons de ce site EN ACCES LIBRE pour débattre. V.D.

16 avril 2008

Paris sous l'oeil des chercheurs

Blog_paris Depuis 2004, la Mairie de Paris a initié un programme de recherche sur Paris qui s’insère dans une vaste politique municipale de promotion de la culture et de la recherche, à l’articulation entre monde savant et diffusion des résultats scientifiques. Paris sous l’œil des chercheurs (Belin-Mairie de Paris, 2007, 206 p., 26,50 €) réunit les contributions des neuf équipes de chercheurs que la ville a soutenues et qui appartiennent à tous les domaines de la science. L’un des premiers objectifs du livre est donc de mettre en valeur la convergence de questionnements disciplinaires distincts sur un même objet, ici la ville de Paris. Ainsi, géographes, sociologues et anthropologues apportent leur contribution à la connaissance du « quartier » parisien ou de certaines activités, comme le commerce. Des économistes et des architectes envisagent les mutations de l’espace parisien à plusieurs échelles (l’architecture, le marché du logement) ou du point de vue d’une redistribution des activités et des habitants à partir de la question de la mixité sociale. La qualité de l’air ou le « métabolisme parisien », métaphore organiciste déjà ancienne utilisée pour désigner les flux entrants et sortants de la capitale, font l’objet d’études qui mettent à la portée du grand public des techniques sophistiquées. Enfin, la science politique éclaire l’articulation subtile entre administration parisienne et concertation, condition d’existence d’une démocratie participative de plus en plus évoquée dans la société française ces dernières années. La cohabitation de ces études fait valoir les spécificités méthodologiques de chaque discipline, la richesse des matériaux mobilisables et des enquêtes envisageables. Elle met en valeur la diversité des acteurs à prendre en compte pour analyser les dynamiques urbaines, et le cas d’une capitale comme Paris rend cette distinction parfois complexe.

Isabelle Backouche, EHESS

15 avril 2008

Les démons de Gödel

Blog_godel Kurt Gödel est reconnu comme un mathématicien de génie par son théorème d’incomplétude : il n’existe pas de système axiomatique, contenant l’arithmétique, qui soit à la fois complet (tout théorème de la théorie est démontrable) et consistant (une affirmation et son contraire ne peuvent être toutes deux vraies). Ce théorème, purement mathématique, a été, par la suite, cuisiné à diverses sauces pour en faire un outil philosophique pas toujours convaincant. Ses travaux ultérieurs ont-ils été occultés par ce formidable résultat ou sont-ils de moindre importance en raison de signes de folie que montra le mathématicien ? C’est vers la seconde raison que penche Pierre Cassou-Noguès, qui a entrepris de déchiffrer les nombreux cahiers manuscrits rédigés par Gödel à Princeton, ainsi que ses lettres personnelles (Les démons de Gödel, Le Seuil, coll. « Science ouvert », 2007, 280 p., 21 €). L’auteur cherche à comprendre comment le logicien, le philosophe et le paranoïaque pouvaient cohabiter. Logicien, on le connaît. Philosophe, car Gödel a construit tout un système philosophique basé à la fois sur les monades de Leibniz et un platonisme rigoureux. Paranoïaque, car Gödel croyait aux démons et aux anges, avait démontré l’existence de Dieu (sans publier car il craignait l’incompréhension de ses collègues…), était persuadé qu’on cherchait à l’empoisonner et meurt en 1978 de cachexie. Tout cela ne fait-il que rajouter un nom à la longue liste des mathématiciens fous : Cantor, Turing, Post ? Cela pose également la question de savoir ce qui, lors de la pratique mathématique de ces logiciens, pourrait déclencher une dissociation du sujet : « …dans la perspective où les objets mathématiques sont les idées de l’entendement divin… l’intuition mathématique est un accès à l’entendement de Dieu ». L’ouvrage de P. Cassou-Noguès est intéressant mais, il le reconnait, il n’a pas achevé son travail de déchiffrement. Il faudrait y ajouter une réelle analyse psychanalytique de la personnalité de Gödel, peut être à positionner en parallèle de celle de Cantor, qui n’est actuellement qu’effleurée.

Henri Lemberg, classes préparatoires (Paris)

14 avril 2008

Traité du cerveau

Blog_imbert Le premier Traité du cerveau vient d’être écrit par Michel Imbert (Odile Jacob, 2006, 532 p., 39 €) ; il s’agit en effet du premier ouvrage sur ce thème, didactique, systématique et destiné au grand public. L’auteur possède la culture et le recul nécessaires, après la rédaction d’ouvrages d’enseignement avec Pierre Buser et une formation en philosophie. Mais la qualité essentielle pour ce projet est la maîtrise de l’évolution des connaissances sur le cerveau, des données moléculaires récentes jusqu’aux neurosciences cognitives, en passant par les découvertes arides de la neurophysiologie. Imbert a de ces domaines une connaissance intime ; il a mené des études et assumé des responsabilités politiques dans ces champs de recherche. On pourra lui reprocher de prendre parti pour certains travaux ; mais la difficulté est contournée par la profusion des citations et un rythme de présentation soutenu. Le plan est de facture classique : une partie historique, un chapitre sur les éléments anatomiques et leur mise en place, puis une succession de chapitres sur la physiologie des synapses, des sensations, du mouvement, du souvenir et de la communication. L’approche historique permet une mise à distance épistémologique des travaux présentés. Le résultat de cette enquête personnelle, après une longue carrière scientifique, est excellent pour celui qui souhaite avoir des neurosciences une compréhension plus actuelle, globale et complète. Dès lors, c’est là plus qu’un ouvrage de vulgarisation, mais un livre que tout jeune chercheur et enseignant devrait posséder, à l’heure où la spécialisation incite plutôt à l’enfermement disciplinaire.

Jean Gaël Barbara, CNRS

12 avril 2008

Biographie

Blog_lang Où est Jack Lang ? Il est en tout cas dans un livre, une biographie que vient de publier aux Editions Complexe Laurent Martin, auteur en 2001 d’une histoire remarquée du Canard enchaîné (Flammarion, rééd. Nouveau Monde, 2005). Le grand intérêt de son Jack Lang, une vie entre culture et politique (424 p. 24 €) est d’avoir largement exploité le fonds d’archives que l’ancien ministre et actuel député a déposé en 2001 à l’Institut mémoires de l’édition contemporaine (IMEC). Laurent Martin a commencé par inventorier et classer ce fonds avant de se décider à « prolonger le travail archivistique par un travail de recherche et d’écriture sous la forme d’une biographie ». Refusant de s’inscrire dans le double schéma des livres à charge ou des biographies autorisées, Laurent Martin préféra s’en tenir à l’érudition et à la recherche. Un exemple à suivre pour l’appréhension des figures de notre contemporain.

Vincent Duclert, EHESS

11 avril 2008

2001 L'odyssée de l'espace

Blog_clark 2001 L’Odyssée de l’espace (J’ai lu, 191 p, 3,70 €) a quarante ans. Fallait-il la disparition de Arthur. C. Clarke pour nous rappeler qu’il s’agit d’une des œuvres d’anticipation les plus marquantes du XXe siècle ? Le film de Stanley Kubrick (film événement ou film culte, les spécialistes nous le diront), inspiré d’une nouvelle de Clarke, The Sentinel (1951), a été suivi de quelques mois par la parution du livre, clé de l’œuvre cinématographique, majestueuse certes, mais très énigmatique. En 1968, année du premier vol habité autour de la Lune, Clarke imaginait l’humanité comme le jouet d’une conscience extraterrestre, réduisant ainsi à l’état d’étapes dérisoires les avancées technologiques qu’il projetait pourtant avec tant de finesse. Alors qu’au cours de cette odyssée un homme parvient jusqu’à Jupiter, dans la réalité, à la fin des années 1960, la Lune reste un objectif qui émerveille le monde. Mais, pour le public, depuis la sortie et la parution de 2001…, l’espace proche semble s’être banalisé, la Lune oubliée et les vols habités lointains impossibles, et ce, malgré l’annonce régulière de nombreux projets. L’œuvre d’anticipation commune de Clarke et Kubrick a aujourd’hui changé de statut, elle est devenue un témoignage, celui d’une époque proche et pourtant révolue, fascinée par les voyages spatiaux.

Stéphane Tirard, Université de Nantes.

10 avril 2008

L'homme qui inventa l'informatique

Blog_turing_5 Auteur d’Alan Turing, l’homme qui inventa l’informatique (Dunod, coll. « Quai des sciences », 2007, 273 p. 25 €), David Leavitt n'est pas un scientifique mais un écrivain, professeur de littérature et d'écriture jouissant aux États Unis et en Europe d'une réputation plutôt flatteuse. Sa vision d'Alan Turing n'est pourtant pas seulement celle d'un écrivain. Il nous le décrit comme un homme original, homosexuel sans complexes et victime surtout des préjugés de sa société et de son époque et qui (paradoxe ou pas?) finira par se suicider (sauf pour sa mère) à l'aide d'une pomme imprégnée au cyanure. Par-delà une biographie traditionnelle, Leavitt détaille les différents thèmes sur lesquels travailla Alan Turing et les discussions épistémologiques qu'ils suscitèrent, de la démonstration du « théorème de la limite centrale » à la « machine de Manchester » (son « Bébé ») en passant par le « problème de la décision » (Entscheidungsproblem de Hilbert) pour lequel sa contribution fut longtemps oublié au profit d'Alonzo Church, et les « machines de Turing » que l'on n'a pas pu lui enlever. Alan Turing se préoccupait peu de savoir si d'autres avaient ou non travaillé et publié sur les questions sur lesquelles il réfléchissait. Cela expliqua pourquoi on négligea longtemps ses travaux et découvertes. On en veut pour preuve son rôle capital dans une activité par essence secrète : ses recherches sur la cryptanalyse de la machine Enigma au Bletchley Park. Le legs le plus important d’Alan Turing porte sur l'existence même des ordinateurs et la conviction forte que ce ne sont pas que des machines de calcul numérique. N'a-t-il pas titré un rapport « Machines intelligentes » et un article « Machines de calcul et intelligence ». L' « intelligence artificielle » n'a pas été un échec conceptuel mais un échec commercial et les questions posées par Turing restent pertinentes et d'actualité.

Michel Gaudet, Ehess

La pensée anti-68

Blog_audier La haine de Mai 68 est-elle devenue le nouvel Opium des intellectuels, le nectar empoisonné auquel s’abreuvent nos meilleurs esprits depuis les années 1980, sorte de mythe à rebours qui anime les penseurs du retour du sujet et turiféraires du libéralisme ? Regroupant quelques-unes des figures phares de notre vie intellectuelle, Serge Audier dégage une unité qui puise dans le rejet des courants qui animèrent Mai 68 (La pensée anti-68. Essai sur les origines d'une restauration intellectuelle, La Découverte, coll. "Cahiers libres", 380 p., 21,50 €). En dépit du soin à étayer sa thèse, Audier nous persuade d’une chose. Pas plus qu’il n’y eut de pensée-68, ce dont convinrent L. Ferry et A. Renaut, qu’il continue pourtant à poursuivre de ses foudres, il n’existe de pensée anti-68. Le rejet de certains traits caractéristiques du mouvement de Mai, commun par exemple à P. Manent, G. Lipovetsky ou M. Gauchet, suffit-il à créer autre chose qu’une communauté de pensée ? Ainsi on ne peut le suivre par exemple lorsqu’il réunit sous une même bannière des penseurs à l’horizon aussi différent que L. Dumont, M. Gauchet et René Guénon. S. Audier lui-même n’est d’ailleurs jamais aussi bon que lorsqu’il reconstitue des généalogies, retisse les contextes et dénonce le simplisme qu’il y a à résumer une pensée par ses traits les plus saillants. Il reprend ici les étapes d’une histoire française de la pensée libérale trop souvent passée sous silence et ressuscite à la lumière des théories de Bachelard et de Canguilhem, eux-mêmes en rupture avec la pensée de Bergson, sans lesquels on ne saurait comprendre les origines du mouvement de Mai. Il paraît alors plus pertinent de parler du « moment» des années 60, expression forgée par Fr. Worms et reprise par les journées organisées par l’Ecole Normale Supérieure. Marqué au plan philosophique par l’irruption de la structure et de la question du sens, il englobe Mai 68 dans un contexte plus large. On peut ainsi comme le fait Audier dégager en retour l’existence d’un « moment » 1980 défini autour d’une thématique libérale et républicaine influencée par les Etats-Unis et marqué par un pessimisme culturel. Faut-il y voir autre chose que le partage d’un monde commun ?

Perrine Simon-Nahum, CNRS