Vous êtes sur BLOGS > le blog des livres Accueil | mars 2008 »

février 2008

14 février 2008

Four centuries of geological travel

Voici un livre qui tranche parmi les nombreux titres de la série à laquelle il appartient. Four centuries of geological travel. The search for knowledge on foot, bicycle, sledge and Camel, dirigé par Wyse Jackson (Society London Special Publication 287, 2007, 415 p.) ne relève pas de recherches sophistiquées accessibles exclusivement aux spécialistes, mais d’une collection d’études historiographiques susceptibles de passionner les géologues de tout bord, comme les naturalistes et les philosophes férus d’histoire des sciences. La géologie a d’abord été, et reste encore pour une part importante une science « péripatéticienne », fondée sur l’observation des paysages et des roches. Ce livre vous emmènera à bicyclette sur les routes d’Irlande, à cheval vers le Grand Canyon du Colorado avec les découvreurs du Far West, en traîneau dans les solitudes glacées du Groenland ou du Grand Nord canadien, à dos de chameau ou à pied en plein Sahara, parmi des Touaregs diversement disposés… Deux contributions concernent cet ailleurs qui nous est familier. L’une raconte la riche expérience de Théodore Monod, tant géologique que philosophique. L’autre, signée par Philippe Taquet, présente quatre grandes figures de la découverte géologique du Sahara au début du XXe siècle : René Chudeau, mort dans la misère en 1921, Conrad Kilian, « suicidé » peut-être pour s’être approché de trop près des problèmes politico-pétroliers, Albert de Lapparent, découvreur de dinosaures et victime d’un chameau (une chute le laissant paralysé), et l’infatigable Théodore Monod, mort à 95 ans, à l’aube du nouveau millénaire.

André Michard, Université de Paris-Sud Orsay et ENS

13 février 2008

Le livre et l’éditeur

Editeur, Eric Vigne dirige la collection « NRF Essais » qu’il a créée en 1988 chez Gallimard. Il a publié près de 140 livres qui se définissent par une forme d’écriture achevée d’une connaissance venue de la recherche et mise au service d’une compréhension générale du monde et des sociétés. Il a ainsi constitué une belle bibliothèque de référence, autant d’ « essais » qui honorent le titre même de la collection. Fort de cette expérience et de celle qu’il avait, auparavant, acquise à La Découverte et chez Fayard, Eric Vigne propose chez un quatrième éditeur, Klincksieck-Les Belles Lettres, une méditation sur cette catégorie dont d’aucuns annoncent le décès, le « livre de savoir » (Le livre et l’éditeur. 50 questions, 2008, 178 p., 15 €). Cet ouvrage présente de nombreuses qualités dont la moindre n’est pas d’inscrire la pensée contemporaine sur le livre dans l’histoire longue de ce dernier au XVIIIe et XIXe siècles. Mais l’idée majeure consiste à montrer qu’un livre n’existe qu’à travers l’implication intellectuelle de l’éditeur qui accompagne la transformation d’un manuscrit en ce « livre de savoir ». D’où la critique qu’Eric Vigne adresse à l’Internet tout en reconnaissant que ce nouvel univers offre de nouvelles ressources à l’édition (construction de sites d’éditeurs, impression en ligne à la demande,..). La pratique du téléchargement de pages référencées engendre un type de lecture qui est « aux antipodes de la mise en perspective critique qui se déploie dans la lecture continue d’un texte. […] Là où le lecteur parvient en cheminant, l’internaute atterrit par parachutage sans carte des lieux. » Ce dernier perd la « cartographie imaginaire de l’auteur », il est condamné à errer sans repères.

Vincent Duclert, EHESS

La grande conversion numérique

A l'heure où nous ouvrons cette publication en ligne dédiée aux livres et aux idées, voici que paraît une grande étude sur le numérique due à un historien du religieux dans l'Occident moderne (université de Glasgow). Excellemment traduit par Paul Chemla, La grande conversion numérique (Le Seuil, coll. « La librairie du XXIe siècle », 2008, 281 p., 19 €) décline les principales données de l'architecture du numérique (web, blog, logiciel, wiki, archives ouvertes, etc.). Mais le livre est loin de n'être seulement qu'un traité érudit. Parce que Milad Doueihi n'est pas un professionnel du numérique, parce qu'il est au contraire un spécialiste des religions et donc des conversions, il appréhende ce phénomène massif et planétaire comme un fait historique majeur, comme un « processus civilisateur » à condition de le penser. Il lui applique alors des questionnements « universels, voire universalistes » qui permettent de comprendre un monde en apparence incontrôlable et menaçant, dominé par une technicité galopante et les ambitions des Etats. De fait, il concourt à refermer la fracture entre « les disciplines intellectuelles historiques traditionnelles et les réalités culturelles des sociétés du savoir et de la technologie ». Dans ce livre brillant et très documenté, Milad Doueihi livre une méthode pour aborder les sujets les plus vertigineux. L'historien va même plus loin. Par son approche philosophique du numérique, il offre à la recherche le moyen de conserver un idéal humaniste au milieu des bouleversements techologiques.

Vincent Duclert, EHESS

12 février 2008

Pendus au passé ?

Les théories des cordes permettent à la physique de changer de paradigme, en reposant, dans un espace-temps à dix dimensions, sur des entités élémentaires qui ne seraient plus des particules ponctuelles mais des cordes minuscules, formant des boucles d'une taille finie, de l'ordre de la longueur de Planck et vibrant comme des cordes de violon.

A partir du principe que les plus petites particules de matière, et notamment de lumière, ont cette forme de cordes dotées d’un grand nombre de dimensions - des cordes qui pourraient être « ouvertes » - le romancier José Carlos Somoza (La Théorie des cordes, traduit de l’espagnol par Marianne Millon, Actes Sud, 2007, 515 p., 23 €) imagine des personnages qui, sur une île de l’Océan Indien, parviennent en 2006 à obtenir des images fragmentaires du passé (la période jurassique ou Jérusalem peu avant la crucifixion de Jésus...). Un groupe de chercheurs qui quelques années plus tard se trouve décimé par un mystérieux assassin, prix à payer pour avoir osé, crime de lèse-divinité, visionner en direct le passé. S'il est en effet impossible de voyager dans le passé (on ne peut pas revenir en arrière dans le temps), on peut filmer et observer ce passé, même le plus lointain, en pliant ces fameuses « les cordes du temps ».

La physique théorique moderne censée concilier les théories d’Einstein (la relativité générale) et celles de la mécanique quantique (physique à une très petite échelle) sert alors de toile de fond à une interrogation de fait plus métaphysique qu'épistémologique : quel sens conférer aux croyances, mythes et connaissances scientifiques une fois ceux-ci confrontés non pas à la mémoire et à la transmission, mais à la réalité crue et nue ?

Frédéric Grolleau, Le Litteraire.com

Darwin hérétique. L’éternel retour du créationnisme

L’opposition entre les évolutionnistes et les tenants de l’intelligent design (ID) n’est pas un débat scientifique, parce que l’intelligent Design n’est pas une théorie scientifique.

Apparu aux Etats-Unis au milieu des années 1990, l’ID n’est que la dernière attaque, après tant d’autres, subie par le darwinisme. Ces stratégies créationnistes successives ont en commun de stigmatiser les points sujets à discussions scientifiques dans les théories explicatives de l’évolution, darwinisme strict ou autres, et à s’en servir pour prétendre qu’elles ne sont pas satisfaisantes. Il s’agit de nier la complexité du problème de l’évolution et des solutions que les biologistes tentent d’y apporter, et, en occultant ainsi l’existence légitime d’un débat scientifique, d’imposer une approche dogmatique, empreinte de croyance religieuse.

L’ouvrage de Thomas Lepeltier, Darwin hérétique L’éternel retour du créationnisme (Le Seuil, coll. « Science ouverte », 2007, 253 p. 19 €) offre au lecteur le recul historique nécessaire pour comprendre les enjeux et conditions de possibilité du créationnisme. Cette démarche est importante pour saisir comment l’ID, en intégrant l’idée d’évolution, tente de créer un faux débat pour mieux s’imposer auprès du public, en s’arrogeant le statut de théorie scientifique expliquant la complexité du vivant comme voulue par une intelligence supérieure.

Stéphane Tirard, Université de Nantes

11 février 2008

Le Blog des Livres

Depuis le 11 février 2008, les Livres sont devenus plus importants encore à La Recherche. Il y avait déjà les Pages Livres du mensuel et des Dossiers qui se poursuivent bien sûr. Il y a désormais un « fil » continu de recensions d’ouvrages, de revues, d’articles, de dossiers, Le Blog des Livres créé à cette fin sur le nouveau site de La Recherche. Près de soixante chercheurs appartenant à toutes les disciplines - en attendant la prochaine étape de l’ouverture internationale de l’équipe - s’expriment chaque jour dans cette revue en ligne et donnent en toute de liberté des notes de lecture, des billets critiques, des réflexions inspirées d’un livre existant ou à venir. C’est la recherche en action, la recherche en devenir, la recherche dans l’espace public. Les chercheurs le savent bien : la discussion des savoirs, leur diffusion, leur vulgarisation sont indissociables de leur émergence et de leur écriture. Cette exigence critique doit s’exercer - y compris sur les conditions culturelles, sociales et politiques de la pratique scientifique. Un tel exercice est souvent l’occasion de révéler les motifs profonds de la recherche ou d’énoncer des engagements essentiels pour la science comme pour la cité – unies idéalement dans la même quête de vérité. La rencontre des livres et des œuvres résonne enfin comme un voyage dans des paysages imaginaires ou bien réels, elle éveille des songes et des pensées plus essentielles parfois que les plus rationnels des processus. On se souviendra toujours des derniers mots de La statue intérieure de François Jacob (Odile Jacob, 1987, p. 357) :

« La neige s’était mise à tomber sur le Luxembourg. La lumière baissait, prenait des teintes blanc sale, puis gris sombre. Comme si on repliait le jour pour le ranger dans sa boîte. Pour laisser place à la nuit, à la hantise, aux rêves, aux terreurs. Quand je suis sorti du jardin, l’idée m’est brusquement venue d’une expérience à faire sur la division cellulaire. Une expérience assez simple. Il suffisait de … »

Vincent Duclert, EHESS, et Aline Richard, La Recherche

Responsables du Blog des Livres / La Recherche